A 20h30 MOI, DANIEL BLAKE
- Ken Loach -avec Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKiernan - Drame - 1h39
- Ken Loach -avec Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKiernan - Drame - 1h39
Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de
problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous
peine de sanction. Au cours de ses rendez-vous réguliers au « job center », Daniel va croiser la route de Katie, mère célibataire de deux
enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à 450km de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d’accueil. Pris tous deux
dans les filets des aberrations administratives de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, Daniel et Katie vont tenter de s’entraider...
Critique lors de la sortie en salle le 26/10/2016 dans Télérama
Par Cécile Mury
A 80 ans, Ken Loach n'a pas baissé les armes. Pas encore. Il a gardé intacts sa colère, son empathie, son humanisme. Sourd aux modes et aux postures cyniques, il peint, à nouveau, dans Moi, Daniel Blake, « son » Angleterre, celle de Riff-Raff, Raining Stones ou My name is Joe : ce peuple que plus personne, sauf lui, n'appelle la classe ouvrière. Tous les oubliés du système — ces victimes de toutes les crises, de toutes les politiques de rigueur —, il est le seul, désormais, sur son île ultralibérale, à les défendre caméra au poing, sans rien lâcher. Cet isolement, ce côté « dernier des Mohicans » qui imprègne son film d'amertume lui a valu la Palme d'or (la deuxième après celle qui couronna Le vent se lève, en 2006) en mai dernier, au festival de Cannes. (...)
D'ailleurs, on frôle la comédie, par moments, tant le héros de ce calvaire ordinaire met d'énergie, de chaleur et d'humour désespéré dans la bataille. Sa bonté, ses boutades, ses gestes quotidiens le rendent proche, profondément attachant, un peu dépassé aussi, presque désuet. Non seulement il ne sait pas se servir d'un ordinateur à une époque où la moindre démarche est informatisée — il faut le voir planté devant le clavier, comme une poule devant une machine à coudre, dans une de ces scènes à la fois drôle et crève-coeur dont Ken Loach a le secret. Mais il est le survivant de ce bon vieux Welfare State, de l'Etat providence à l'anglaise, jadis torpillé par Margaret Thatcher, la bête noire du réalisateur. Lorsque Daniel rencontre Katie, une jeune mère célibataire démunie, prise elle aussi dans la broyeuse administrative, il lui offre son aide. Gratuite et désintéressée. Et les voilà qui s'accrochent l'un à l'autre comme des naufragés. Cette histoire de fraternité humaine prouve, une fois encore, à quel point Ken Loach est un grand directeur d'acteurs. Il sait les cueillir novices, dans le vif du réel, comme jadis Crissy Rock, bouleversante « Ladybird ». Mais il sait, aussi, tirer le meilleur de comédiens professionnels, comme l'humoriste Dave Johns, le héros de Moi, Daniel Blake, et Hayley Squires, Katie aux grands yeux de faon.
C'est par elle que le cinéaste rappelle qu'il est question, ici, de vie ou de mort. De la vraie faim et de la vraie misère, avec leur sillage d'exclusions et d'humiliations. Dans une banque alimentaire, Katie, qui n'a pas mangé depuis plusieurs jours, s'effondre... Cette scène déchirante évoque autant l'Angleterre victorienne que celle d'aujourd'hui. Manière, pour Ken Loach, de nous dire que dans le monde moderne, ce n'est pas Daniel Blake qui est anachronique. C'est la violence sociale.