mardi 20 octobre 2015

C'est en 1903 que l'histoire républicaine s'est invitée dans la toponymie des rues cuersoises





Après un siècle où la France  avait connu  toutes les formes de gouvernement:Empire, Monarchies, Républiques, où notre pays avait été secoué plusieurs fois par des mouvements populaires et des révolutions, la IIIème République apparaissait encore fragile en ce début de XXème siècle et il fallait l'ancrer dans l'esprit de la population.

Une séance municipale très importante pour la toponymie  
C'est dans cette optique que, le 12 avril 1903 le Conseil Municipal, réuni en séance, décida de changer le nom de 23 rues à Cuers et ce changement fut approuvé par la Préfecture du Var à Draguignan le 24/04/1903 puis par le gouvernement à Paris le 21/09/1903 sous la présidence d' Émile Loubet

Les noms anciens font référence au domaine religieux (ex : Ste Ursule, St François, la Chapelle, St Martin…) ou à  l’histoire et à la toponymie locale (rue des 500 francs, rue Fontaine d’Hugues…) alors que les nouveaux  font référence aux idéaux républicains ou sont pour la plupart les patronymes d’hommes illustres ayant combattu pour les libertés et la défense de la République

Dés le XIXe s. Cuers était une commune marquée par les idées socialistes et progressistes. Elle avait participé à l’insurrection contre le coup d’État de Napoléon III (4,5 déc.1851). Elle s’inscrivit dans la mouvance républicaine qui dominait alors dans le département du Var.
A Cuers, les élections municipales de 1901 s'étaient déroulées dans une atmosphère houleuse. Le candidat de droite M. Emmanuel perdit la majorité mais refusa de démissionner. Il fallut que le gouvernement frappât de dissolution le Conseil Municipal
De nouvelles élections eurent lieu le 8 septembre 1901. Sur 718 votants, la liste de M. Brun, avocat , socialiste remporta 500 voix contre 200 à son adversaire M. Emmanuel. Cela permit à François Brun de devenir maire. Il le resta jusqu’en 1921.

Le grand combat de ce début du siècle fut celui de la séparation de l’Église et de l’État qui aboutit à la loi de 1905 faisant de la France un État laïque. Dans le microcosme cuersois, ce combat prit toute sa place comme en témoigne le rapport de la séance du Conseil Municipal du 07/06/1903.Il vota à l’unanimité le vœu suivant 
« En présence de l’odieuse campagne de calomnie dirigée contre le gouvernement, le CM de Cuers lui renouvelle l’assurance de son dévouement et l’engage à persévérer dans l’application des lois et à assurer par les moyens les plus rapides et les plus énergiques la séparation de l’Église et de l’État toujours désirée par les sincères républicains »
C’est donc dans ce contexte que fut prise la décision de donner aux rues de Cuers des noms  qui feraient entrer cette ville dans l'ère républicaine et laïque     


Voyons donc maintenant de plus près ces changements
Si l'on se réfère au plan historique, ils concernent quatre périodes essentielles du XIXe siècle :
    • La Révolution (1789-1799)
    • La   Seconde République (1848-1851)
    • Le coup d’État de 1851 et le Second Empire (1852-1870)
    • La guerre de 1870 et la Commune

Quels souvenirs marquants de ces périodes  voulurent évoquer ces élus de 1903à travers ces nouveaux noms  ?

I La Révolution

Rue des Droits de l'Homme (anciennement rue de la Chapelle)

Cette rue, située dans les vieux quartiers, relie la rue Panisson à la Place Victor Hugo. Ces 2 noms ont été également donnés à ces rues lors de la même séance.Son nom rappelle la Déclaration des Droits de l'Homme :
Ainsi, les sujets de « Sa Majesté » deviennent des citoyens disposant de tous leurs droits. elle a un caractère universel
Parmi ceux- ci : la Liberté et l’Égalité , qui, avec la Fraternité adoptée en 1848 deviendront la devise de notre République





 C'est sans doute dans cet esprit que nos édiles voulurent que deux rues rappellent ces principes


 Rue de la Liberté. : anciennement appelée   rue de la Comédie  parce qu'il y avait un théâtre, relie le pont du Miege Pan à l'actuelle place du Général de Gaulle


Rue de la Fraternité  anciennement rue Neuve

Située de l'autre côté de la Place du Général de Gaulle ,elle rappelle le mot d'ordre de la Révolution de 1848 qui voulait instituer dans le pays « une ère de paix et de bonheur » (Lamartine qui siégeait au Gouvernement Provisoire de la Seconde République)
C'est dans cet esprit également que furent plantés les arbres de la Liberté
Le micocoulier de Valcros, planté en février 1848, en est un vivant exemple


Il existe également une rue de l’Égalité mais son nom lui a été attribué plus tard.

Place Mirabeau

Anciennement Place Saint Louis, elle est ornée d'une belle fontaine près de la route de Toulon (actuellement avenue Gabriel Péri)
Le comte de Mirabeau (1749-1791)  Plusieurs fois emprisonné, il dénonça l'absolutisme royal. il fut élu député du Tiers État d'Aix en Provence à l'Assemblée Constituante de 1789. Il en fut le plus grand orateur. Il y joua un rôle décisif : défenseur de la liberté de la presse, il participa à l'élaboration de la Déclaration des Droits de l'Homme et proposa la vente des biens du clergé. Accusé de trahison il mourut avant d'être jugé. Il resta très populaire dans le var et les Bouches du Rhone.







Place de la Convention

C'était l'ancienne Place d' Armes, vaste place derrière l'ancien hôtel de ville construit en 1828, elle servait pour le marché. On trouve en son centre une très belle fontaine.
La Convention fut le nom donné à la nouvelle assemblée constituante en 1792, après la chute de la monarchie (journée du 10 août 1792) .
C'est le nom américain pour désigner une assemblée constituante
Elle proclama la première République le 21 septembre 1792.


Rue Hoche
Anciennement rue Cendrillon, elle se situe près du Pont sur le Meige Pan entre  la rue de la Liberté et la rue de la République
En 1792, face à la coalition des Monarchies européennes contre la Convention, Lazare Carnot, membre du Comité de Salut Public, prit la direction des armées. Il décida de recruter des jeunes chefs militaires de grande valeur, issus du rang.
 Lazare Hoche (1768-97), fils d'un palefrenier, caporal en 1789 devint général à 25 ans. En 1793, en Alsace, il repoussa les armées autrichiennes et prussiennes du Duc de Brunswick et reprit définitivement le territoire.
Le printemps 1794 fut marqué par la lutte entre les différentes factions de la Convention Montagnarde. Hoche, membre comme Danton du Club des Cordeliers,fut arrêté le 20 mars 1794. Il ne sortit de prison qu'en août  après la chute de Robespierre. Dès sa sortie de prison, il fut appelé à la tête des armées de Brest et Cherbourg pour pacifier l'Ouest aux mains des Chouans et des Vendéens. En 1795, les Anglais, aidés par des émigrés royalistes français et des Vendéens, tentèrent un débarquement à Quiberon. Hoche les isola dans la presqu'île « Les anglos émigrés chouans sont bloqués comme des rats » dit-il le 7 juillet.
Il défit les Chouans et obtint alors le commandement de toutes les armées de l'Ouest.
En 1797,nommé général en chef de l'armée de Sambre et Meuse, il remporta encore plusieurs victoires
 Rentré à Paris  il refusa le ministère de la Guerre qu'on lui proposait. Mais il conservait de sérieux ennemis . Après avoir par deux fois échappé à des tentatives d'assassinat, il mourut dans d'atroces douleurs le 17 septembre 1797 à l'âge de 29 ans, persuadé d'avoir été empoisonné « Suis-je donc revêtu de la robe empoisonnée de Nessus » furent ses dernières paroles
Des honneurs funèbres lui furent rendus tant dans l'armée que dans tout le territoire.
C'est sans doute son rôle dans les guerres contre les Chouans et les Vendéens, royalistes catholiques, que nos conseillers municipaux de 1902 avaient voulu mettre en exergue



II La Seconde République 



 50 ans séparèrent la Révolution et la 1ère République de la Seconde
Entre les deux plusieurs formes de gouvernement s'étaient succédé :
Empire (1804- 1815)
Restauration : Monarchies conservatrices jusqu'en1830
Monarchie de Juillet (1830- 1848) après la Révolution de 1830.
En 1830, le mouvement révolutionnaire n'avait pas été assez puissant pour déboucher sur une nouvelle République. Des hommes, comme Thiers, avaient su faire accepter une nouvelle monarchie : la Monarchie de juillet.
Seule concession accordée aux insurgés : le roi de France devenait roi des Français et reconnaissait le drapeau tricolore. Louis Philippe allait régner 18 ans de 1830 à 1848.
Mais l'immobilisme du gouvernement Guizot et le suffrage censitaire mécontentaient de plus en plus de Français et en 1848 la Révolution éclata de nouveau

Maurice Agulhon dans son livre « La République au village » a montré comment la population cuersoise avait été gagnée par les idées révolutionnaires
Entre 1830 et 1848, il note  que Cuers comptait peu de notables. La ville vivait essentiellement de l'agriculture avec prédominance du salariat agricole. Sa population était surtout composée de prolétaires gagnés par les idées révolutionnaires et de classes moyennes  à l'esprit démocratique.  Ces idées étaient surtout propagées dans les sociétés secrètes, les « chambrées » auxquelles de nombreux Cuersois adhéraient 

 C'est donc dans ces conditions que la Seconde République fut particulièrement bien accueillie à Cuers et ses dirigeants appréciés, parmi lesquels Ledru-Rollin

Rue Ledru-Rollin Anciennement Rue Saint Martin, elle est parallèle à la Rue de la République

Ledru-Rollin 
Né le 2 février 1807 à Paris et mort le 31 décembre 1874 à Fontenay-aux-Roses aux Roses
Avocat, député radical en 1841, il s'opposa au gouvernement de Guizot sous la Monarchie de Juillet. En 1846 il réclama le suffrage universel. Il voulait des réformes pour faire face à la misère du peuple. Il fonda le journal La Réforme avec Louis Blanc. 
Il participa à partir de 1847 à la campagne des Banquets qui permettait de contourner la loi interdisant les réunions politiques. Cette campagne aboutit à la Révolution de février1848. Alors la Monarchie de Juillet fit place à la Seconde République
Ledru-Rollin devint ministre de l'Intérieur dans le Gouvernement provisoire mais il fut rapidement exclu du pouvoir
En  décembre 1848, il se présenta aux élections présidentielles. S'il n'obtint que 5% des suffrages à l'échelon national, à Cuers, avec 292 voix il devança largement le candidat L. N. Bonaparte qui n'obtint que 61 voix
En 1849, élu député à l'Assemblée Législative,chef d’un groupe de plus de 200 députés La Montagne, il s'opposa à la politique réactionnaire de la nouvelle assemblée. Après l'échec d'une manifestation contre le gouvernement, il dut s'enfuir en Angleterre d'où il ne revint qu'en 1871 après la proclamation de la Troisième République.
Il fut réélu député en 1871 et 1874.

A Cuers, la population rurale était partisane de la politique voulue par les Révolutionnaires
C'est ainsi qu'en août 1848,furent élus un maire propagandiste de Ledru-Rollin et de la Montagne (Jacob : Histoire chronologique de Cuers) : le docteur Victor Roubaud, démocrate socialiste,et un conseil municipal panaché de républicains modérés et de républicains avancés

Mais les espoirs démocratiques de février1848 furent vite déçus. Les conservateurs s'appuyèrent sur la peur engendrée par les événements de juin :
les ouvriers, mécontents de la fermeture des ateliers nationaux qui leur assuraient du travail dans cette période de crise économique, se révoltèrent. Ce fut une véritable insurrection de la colère et de la misère. Elle fut tragiquement réprimée

Parmi les insurgés, figuraient Benjamin Flotte et Blanqui dont nous parlerons plus tard.
 Mais dans le pays, les partisans de la République sociale étaient encore peu nombreux. Seule la ville de Marseille connut un soulèvement analogue à celui de Paris
 L'insurrection avait provoqué dans les rangs conservateurs « une peur sociale ». L'armée, dirigée par le général Cavaignac, réprima férocement le mouvement. 
Les nouveaux dirigeants de la République prirent des mesures répressives :
    • Poursuite et condamnation des responsables de l'insurrection  au bagne ou à la mort
    • Fermeture de nombreux journaux
    • Surveillance de la population : A Toulon, l'amiral Bruhat, nouveau préfet maritime adressa un avertissement aux 5000 ouvriers de l'arsenal
    • Des clubs furent fermés. Ne pouvant s'exprimer librement, l'opposition républicaine se réfugia à nouveau dans les « chambrées » 
En novembre 1848, la France se dota d'une nouvelle constitution qui prévoyait  l'élection d'un président de la République élu pour 4 ans au suffrage universel. Il ne pouvait être réélu immédiatement à la fin de son mandat
Le 10 décembre 1848 le premier président, élu à une large majorité (74%) fut Louis Napoléon Bonaparte.  A Cuers , cependant, comme nous l'avons montré concernant la rue Ledru-Rollin, c'est celui-ci qui obtint le plus de suffrages.
Dans l'été 1851, à Cuers, le maire élu et son conseil municipal furent révoqués et remplacés sur ordre de l'administration centrale par le Maire Barralier et un nouveau conseil municipal contre-révolutionnaire. Dès lors la tension ne cessa de monter
  1. Agulhon (op. Cité) rapporte ces propos de Barralier «  la population rurale presque entière et une partie des artisans étaient gagnées aux idées démagogiques... »
 En fait, la population ne comprenait pas qu'on remit en cause ses choix électoraux 

Le coup d’État du 2 décembre 1851
Louis.Napoléon Bonaparte agita la menace de troubles insurrectionnels, se présenta comme le garant de l'ordre établi et demanda à l'assemblée une révision de la constitution afin de pouvoir se représenter en 1852.
Celle-ci lui fut refusée et il envisagea alors le recours au coup d’État.
La date du 2 décembre ne fut pas choisie au hasard. C'était l'anniversaire d’Austerlitz (1805) et du sacre de Napoléon 1er (1804)

La nouvelle du Coup d’État fut connue à Cuers le 4 décembre. Le bruit se répandit que la Révolution avait triomphé à Paris . Une délégation menée par Marius Désiré Mourre dit « le Pacifique » se dirigea vers la mairie. Le Maire refusa de communiquer les dépêches venues de la capitale et partit chercher du renfort à la gendarmerie. Il revint sur la place où la foule s'était rassemblée, persuadée que le départ du Maire signifiait l'échec du coup d’État.
Mourre déclara alors que le coup d’État entraînait la destitution des autorités en place. Le Maire fut arrête, une commission provisoire fut constituée
Une échauffourée éclata entre les deux camps, un coup de feu partit tuant le gendarme Lambert
Les insurgés forcèrent ensuite les portes de la gendarmerie et les bureaux de l'Enregistrement ne provoquant que des dégâts matériels.
A 11 heures du soir les troupes arrivèrent de Toulon. Très vite elles prirent le contrôle de la situation.  Dans la rue Saint-Pierre elles s'emparèrent de « La Pomone » une des chambrées considérée comme le repaire des républicains et près de là tirèrent sur le jeune Siméon Panisse, âge de 18 ans qui fut laissé pour mort après avoir été transporté (certains disent même traîné) sur la place de la mairie. Il succomba quelques heures plus tard à l'hospice
Dès le lendemain les arrestations se sont multipliées : les républicains en vue (dont le docteur  Roubaud) et les insurgés en tout plus de 400 hommes  dans un village de quelques 4000 habitants Les prisonniers furent conduits à Toulon sur des charrettes et attachés de deux en deux par le cou au moyen de cordes et de chaines fermées par des cadenas .191 furent jugés, 29 déportés en Algérie, 39 internés ou éloignés,  11 jugés aux assises
Trois lieux témoignent de ces événements dont une des 23 rues ayant vu leur appellation  changer en 1903



 Rue Panisson

Anciennement rue Fontaine d'Hugues, elle part de l'avenue Gabriel Péri (route de Toulon)   en face de la Place Mirabeau et monte vers la rue Nationale et le Patillon.
Elle rappelle le martyre du jeune Paul Siméon Panisse tué lors du coup d’État (voir plus haut)
Le jeune garçon, âgé de 18 ans,remontait la rue Queirade, effrayé à la vue des baïonnettes, il s'engagea dans la rue Fontaine d'Hugues où il devait trouver la mort, c'est pour cela que cette rue porte son nom


Le Foyer Mourre le Pacifique

Foyer des Anciens situé au rez de chaussée de l'actuelle mairie, il a été inauguré le 14 décembre 2001 dans le cadre de la commémoration de l'Insurrection de 1851 en présence de plusieurs historiens
Mourre le Pacifique était né à Cuers en 1823. Propriétaire, cultivateur,il était instruit.  Son surnom indique son caractère conciliateur. Il se battait pour  diffuser les idées républicaines et la démocratie socialiste. Cela devenant de plus en plus difficile (voir plus haut : la réaction à partir de 1849), il développa ses idées dans une des sociétés secrètes : la Pomone
Il a joué un rôle de premier plan lors de l'insurrection, à la mairie puis à la tête d'une farandole qui est allé pavoiser la statue de la liberté. Il a dirigé l'expédition contre les bureaux de l'enregistrement en veillant à ce qu'il n'y ait pas de débordement.
Arrêté avec son père et son frère, il fut d'abord condamné à mort. Sa peine fut commuée en déportation à Cayenne où il mourut  avec son frère. Son père, quant à lui, mourut fou à la prison du fort Lamalgue


Extraits du travail réalisé par Michelle Mattalia .

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